Courir après un cancer : le témoignage inspirant de Fabienne

Courir après un cancer : un geste de vie plus qu’un défi sportif. En mai 2025, Fabienne De Girardi participe à une course nature de 8 km au Croisic. Mais derrière chaque foulée se cache bien plus qu’un entraînement : c’est l’histoire d’une renaissance après une leucémie foudroyante. Ce témoignage puissant traverse le corps, l’esprit, les liens familiaux et le sens même de l’existence. Une transformation intime, où courir devient un acte de réparation, de gratitude, et de réappropriation de soi.
Le corps, messager ignoré
Tout commence en 2018. Fabienne souffre de maux de tête sévères. Les premiers médecins évoquent une simple arthrose, l’un refuse même une prise de sang. Mais son intuition persiste. Finalement, trois semaines plus tard, une analyse révèle une leucémie aiguë myéloblastique.
« Je me tais, mais je sais. Mon corps me hurle que c’est sérieux. »
Le choc est immense. Pourtant, au cœur de cette violence, Fabienne ressent un étrange soulagement : le mal a enfin un nom. Ce sentiment la soutiendra tout au long de son parcours. Dès le départ, elle perçoit la maladie comme un signal, une alerte profonde, pas comme une sentence.
Ce n’est pas la mort qui l’effraie, mais l’idée de quitter ses deux fils trop tôt.
Ce rapport lucide à la maladie devient une force. Fabienne choisit de ne pas se laisser engloutir par les chiffres ou les pronostics. D’ailleurs, ses médecins prennent une décision rare : ils ne lui révèlent pas qu’elle a 80 % de cellules cancéreuses dans sa moelle. Ce non-dit, loin de la fragiliser, la protège. Il lui permet de rester focalisée sur un seul objectif : guérir.
« Si j’avais su que c’était 80 %, je crois que je n’aurais pas supporté. », confie-t-elle aujourd’hui.

Le mental et la médecine : une alliance vitale
Très tôt, Fabienne a développé une relation apaisée à la mort. Ce détachement lui permet de concentrer toute son énergie sur ce qui compte : vivre pleinement.
« Être débarrassée de la peur de mourir m’a libérée. »
Quand la greffe devient inévitable, un donneur compatible est trouvé en Angleterre. Un homme. Fabienne reçoit ses cellules souches, et son sang change d’ADN : il devient masculin. Une étrangeté biologique qu’elle accueille sans résistance.
« Si on analyse mon sang, je suis un homme. Mais je reste pleinement moi. »
Elle devient alors une chimère, un corps porteur de deux ADN. Mais au lieu de rejeter ces cellules, elle choisit de les adopter, comme une partie d’elle-même.
Touchée par ce don anonyme, elle s’engage pour informer sur la greffe de moelle. Beaucoup croient encore qu’il faut percer la colonne vertébrale. En réalité, 75 % des dons se font via le sang, comme un don prolongé. Le reste, par prélèvement sous anesthésie dans l’os iliaque, au niveau du bassin, un geste sûr et indolore pour le donneur.
« Ce don m’a sauvée. Je veux que d’autres aient la même chance. »
“Guérie dans son corps, transformée jusque dans son ADN, Fabienne cherche alors un acte symbolique, un geste fort pour incarner cette renaissance retrouvée.”

Courir après un cancer : le défi du vivant
Le 18 mai 2025, Fabienne prend le départ d’une course nature de 8 km au Croisic. Ce n’est pas qu’un défi sportif. C’est un acte de renaissance. Soutenue par son mari et un groupe d’amis fidèles, elle s’est entraînée pendant des mois, passant de cinq minutes de course à plus d’une heure. Ensemble, ils ont partagé chaque séance, chaque progrès. L’endurance a remplacé la performance, et la solidarité est devenue moteur.
« Grâce à lui, je cours. Mon donneur est dans chaque souffle. »
Le jour de la course, ses amis l’accompagnent du premier au dernier mètre. Ils adaptent leur rythme au sien, surveillent sa respiration, la portent moralement quand le souffle manque. Ce soutien inconditionnel répare une blessure ancienne : l’enfant choisie en dernier, moquée par un professeur.
Ce jour-là, elle franchit la ligne. Dernière ? Peut-être. Mais entourée, debout, fière.
« Je suis peut-être arrivée dernière, mais j’ai terminé. »
Chaque foulée est un hommage silencieux à ce donneur inconnu. Ce héros invisible qui lui a offert la possibilité de voir grandir ses enfants — et de recourir, libre.

Réconcilier corps, famille et transmission
Dans sa famille, le sport est une habitude. Son mari et ses deux fils mènent une vie saine et active. Sans pression, ils l’inspirent. Fabienne reprend le mouvement à son rythme : marche, Pilates, écoute du souffle… des pratiques douces qui respectent ses limites et réhabilitent le lien au corps.
Elle repense à ses 15 années de danse classique. Cette discipline exigeante lui a laissé un précieux héritage : rigueur, posture, conscience du geste. Mais aujourd’hui, elle privilégie des formes de mouvement plus fluides, loin des injonctions de performance.
« Je fais comme eux, à ma manière, avec mes propres capacités. »
Professeure des écoles, Fabienne fait aussi entrer le corps à l’école. Méditations, jeux collectifs, activités physiques variées : elle observe que les enfants sont plus attentifs après avoir bougé. Elle regrette que l’éducation nationale n’investisse pas davantage dans cette approche.
« Le corps est un levier d’équilibre, de santé, et même de réussite scolaire. »
Elle ne transmet plus seulement des savoirs, mais des savoir-être : confiance, adaptabilité, présence à soi. Elle veut que ses élèves sachent qu’ils ont déjà en eux la force pour traverser les épreuves.

L’après-cancer : silence, écriture et renaissance
Quand les soins s’arrêtent, le silence commence. L’accompagnement médical s’allège, les proches reprennent le cours de leur vie. Elle, elle reste avec la peur : celle de la rechute, de l’oubli, du vide. Mais petit à petit, elle apprend à lui faire de moins en moins de place.
« L’enjeu, c’est de donner de moins en moins de place à la peur. »
Mais la guérison ne s’opère pas seulement dans le sang ou les muscles. Elle touche aussi les liens familiaux, parfois marqués par des blessures anciennes.
Durant la greffe, Fabienne traverse aussi une autre forme de guérison : celle de la relation avec sa mère. Longtemps marquée par une inversion des rôles — c’est elle qui portait les fragilités de sa mère —, elle ose, pour la première fois, poser une demande claire : « J’ai besoin d’une maman solide. » Sa mère entend, répond, s’installe près de l’Institut Gustave Roussy. Ensemble, elles affrontent l’épreuve, et, au passage, réparent leur lien. Trois mois après la greffe, sa mère s’éteint. Mais cette fois, le lien est apaisé.
« Nous nous étions retrouvées. Et c’est la seule chose qui compte aujourd’hui. »
Plus tard, quand la pandémie de COVID l’empêche de reprendre l’école, Fabienne se tourne vers l’écriture. En trois mois, elle publie son livre : Je n’ai pas guéri du cancer, c’est lui qui m’a guérie. Elle utilise aussi Instagram pour accompagner d’autres patients, partager ce qu’on ne dit pas toujours à l’hôpital.
« Ton corps est capable de renaître. Et toi, tu es capable de vivre plus fort. »
Conclusion : Courir après un cancer, ou vers soi-même ?
L’histoire de Fabienne De Girardi ne se résume pas à une guérison. Elle incarne une transformation. Le cancer, loin de l’avoir brisée, lui a permis de redéfinir ses priorités, de réparer des liens familiaux, de mieux habiter son corps et d’oser transmettre autrement. Courir après un cancer, pour elle, ce n’est pas courir pour rattraper quelque chose qu’elle aurait perdu. C’est avancer, librement, avec conscience, vers une vie plus pleine, plus alignée.
En franchissant la ligne d’arrivée au Croisic, elle n’a pas seulement terminé une course. Elle a affirmé son droit à exister autrement : plus lente peut-être, mais plus vraie. Elle a montré que la maladie ne définit pas une identité, mais peut révéler une force insoupçonnée.
Fabienne ne courait pas pour échapper au passé, mais pour se retrouver. Courir après un cancer, c’était peut-être, au fond, courir vers elle-même.
Et si la plus belle course, finalement, n’était pas celle qu’on fait pour guérir, mais celle qu’on entreprend pour enfin se rencontrer ?