Julien Gloanec – Activité physique après une lésion cérébrale : science, résilience et intelligence du corps

Activité physique et lésion cérébrale : quand le mouvement devient une thérapie
Chercheur, vulgarisateur, survivant d’une lésion cérébrale… Julien Gloanec incarne une trajectoire où l’expérience intime rencontre la rigueur scientifique. À travers son parcours de vie et son engagement constant pour la diffusion des savoirs, il éclaire avec force la place du corps, du mouvement et des preuves dans le processus de rééducation. Ce témoignage singulier met en lumière un enjeu central et souvent négligé : le rôle fondamental de l’activité physique après une lésion cérébrale. Dans les circuits traditionnels de soins, cette dimension reste sous-exploitée. Pourtant, elle ouvre la voie à des perspectives inédites en matière de rétablissement, de résilience et de transformation personnelle.
C’est dans cette dynamique que Julien Gloanec m’a sollicité pour porter son témoignage. Par ses mots, ses recherches et son vécu, il m’a confié la mission de structurer un récit fidèle, sensible et éclairant. Voici donc un article nourri de ses paroles, de ses écrits, et de notre échange, afin de rendre accessible au plus grand nombre l’impact méconnu mais essentiel de l’activité physique dans le processus de réparation cérébrale.

Une vie transformée
Lycéen habitant en zone urbaine prioritaire, Julien se passionne très tôt pour les thématiques liées à l’échange social. C’est donc avec le baccalauréat en sciences économiques et sociales en poche qu’il rejoint les bancs de l’université, avec l’ambition de s’orienter vers l’enseignement de l’EPS, où sa passion du sport et de la transmission pouvait pleinement s’exprimer.
Mais très vite, au fil de ses stages en licence STAPS puis au cours de son master 1, un décalage s’installe. Ni la préparation physique en club de rugby, ni la répétition de divers schémas d’entraînement ne lui apportent l’épanouissement espéré. À cette dynamique riche et complexe de l’échange humain s’oppose ce qu’il décrit comme « de l’entraînement de bêtes de compétitions ». Et d’ajouter : « Je n’allais certainement pas passer ma carrière à m’investir dans cette tâche. »
C’est finalement en master 2, lors d’un stage au service de nutrition endocrinologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, qu’un déclic survient. Julien y découvre un univers où la rigueur scientifique rejoint l’utilité concrète. Sa vocation s’affirme : il sera chercheur.
Grâce à ses résultats académiques, il parvient à requalifier son master professionnel en master recherche et rejoint l’INSERM comme ingénieur d’étude. Il entame alors une thèse portant sur les effets de l’entraînement en résistance chez des patients obèses opérés d’un by-pass gastrique. En parallèle, il continue à exercer comme coach sportif. La trajectoire semble toute tracée.
Mais en novembre 2009, un accident brutal bouleverse le parcours de Julien. Victime d’une lésion cérébrale grave, il sombre dans le coma durant trois mois et demi. À son réveil, il est privé de parole et de mobilité.
« Je me réveille face à mon directeur de thèse qui sourit, mais je ne comprends pas encore que je suis allongé depuis plusieurs mois. Je tente de me lever pour aller aux toilettes. Je tombe. Et là, j’entends : “Mais… On ne te l’a pas dit ? Tu ne peux plus marcher !” »
Le choc est immense. Pourtant, dès les premiers instants, Julien refuse de céder à la fatalité. Il s’investit pleinement dans une rééducation intensive, où chaque micro-victoire devient un point d’appui essentiel. C’est dans cette dynamique de progression continue qu’il puise la force de renouer avec son engagement scientifique.
« Mes progrès faisaient systématiquement écho au sourire de mon professeur. Je voulais transmettre cette crédibilité du couple Sport-Santé. »

Quand la science éclaire le vécu
Très tôt, Julien ressent le besoin de partager son chemin, mais aussi de l’enrichir par les preuves. Il se lance alors dans un travail régulier de veille scientifique, qu’il traduit en synthèses vulgarisées. Son objectif : rendre les découvertes accessibles à tous, pour que chacun – professionnel de santé, aidant ou personne concernée – puisse en tirer parti.
« L’assise de ces choix est soumise à mes vécus, souvenirs, observations et échanges. Je cherche à avertir le plus grand nombre, et à répondre aux foules de désapprobations qui associent encore le sport à des croyances infondées. »
Julien s’attache aussi à démonter les idées reçues autour des personnes cérébrolésées. Cette forme de handicap souvent invisible induit de nombreux malentendus. Sans sensibilisation préalable, les réactions et comportements des personnes concernées peuvent être mal interprétés.
Parmi les découvertes qui l’ont marqué : le nombre croissant de publications prouvant l’efficacité de l’activité physique dans des contextes psychiatriques lourds, comme la schizophrénie. Ces travaux renforcent son intuition : l’activité physique agit puissamment, à tous les niveaux – physique, cognitif, social, émotionnel.
Ce constat l’amène à approfondir une question centrale : pourquoi le muscle a-t-il un tel pouvoir sur notre santé globale ?

Le rôle fondamental du muscle – Myokines et santé globale
Derrière l’idée souvent répétée selon laquelle « le sport est bon pour la santé », se cache une réalité biologique d’une ampleur méconnue. Le muscle n’est pas seulement un moteur de mouvement ou un outil de performance : c’est un organe endocrine, capable de produire et de libérer des messagers chimiques appelés myokines.
« J’aime appeler ces myokines, ‘l’hormone de jouvence produite par nos muscles’. Elles sont capables d’activer des fonctions clés dans tout l’organisme. Certaines ont même des effets anti-âge démontrés scientifiquement. »
Ces protéines sont sécrétées par les fibres musculaires lorsqu’elles se contractent. Elles peuvent agir localement (action autocrine), sur les tissus voisins (action paracrine), et à distance via la circulation sanguine (action endocrine). Elles influencent des organes clés comme le cerveau, le foie, les reins, l’intestin, les os…
Leur rôle est multiple : elles renforcent l’immunité, limitent l’inflammation, améliorent le métabolisme, stimulent la neurogenèse, et participent à la régulation de l’humeur. En somme, elles contribuent à la santé physique, mentale et cognitive.
Dans le cas des lésions cérébrales, ces effets prennent tout leur sens. L’activité musculaire permet la production de neurotrophines comme le BDNF, qui favorisent la plasticité cérébrale, protègent les neurones et stimulent la formation de nouveaux vaisseaux (angiogenèse). D’autres effets incluent la réduction de l’apoptose neuronale et du stress oxydatif.
« Durant ma rééducation, les bénéfices de l’activité physique ont résonné avec les explications biologiques fournies par les équipes médicales. J’avais la sensation d’avancer plus vite, physiquement, mais aussi mentalement. »
Ce lien entre activité physique et régénération cérébrale est aujourd’hui validé par de nombreuses recherches, y compris en contexte animal. Il est même question d’un médiateur clé : l’irisine, hormone issue des myokines, impliquée dans l’axe muscle-cerveau.
Pour Julien, ces découvertes ne doivent pas rester confinées au monde académique. Elles doivent guider les politiques de santé, la rééducation et l’accompagnement des personnes cérébrolésées. Il alerte aussi sur les freins persistants :
« Il y a encore beaucoup de défiance face à cette ‘simple activité physique’. Et il ne faut pas oublier le poids colossal de certains lobbies. Quand une pratique gratuite comme l’exercice améliore la santé globale, elle peut faire de l’ombre à des logiques purement médicamenteuses. »
L’enjeu est donc double : mieux informer les professionnels comme le grand public, et réinventer nos modèles de soins en y intégrant pleinement l’activité physique comme pilier thérapeutique. À la croisée de la biologie, de la prévention et de la rééducation, le rôle du muscle comme organe endocrinien ouvre des perspectives nouvelles. Bien au-delà de la simple performance physique, il devient une clef de compréhension globale de la santé. Cette dynamique, à la fois scientifique et humaine, résonne pleinement avec la volonté de Julien : porter ce message dans la société et impulser un changement durable, par l’action, l’information et l’engagement.

Engagement, transmission et vision d’avenir
Julien ne se contente pas de partager son savoir, il s’investit activement pour diffuser les preuves et accompagner le changement. À travers son blog Sport, Sourire et Santé, il vulgarise des recherches scientifiques récentes sur l’activité physique et la santé publique. Ce travail rigoureux, à la portée de tous, vise à transformer l’information en outil d’émancipation.
Sur le terrain, Julien multiplie les initiatives : conférences, témoignages, ateliers interactifs, présentations commentées… Il intervient auprès d’un public large – collectivités, établissements scolaires, maisons de retraite, structures médico-sociales – pour faire passer un message fondamental : il est possible de progresser après une lésion cérébrale, et l’activité physique constitue un levier puissant de reconstruction.
« Je pense qu’il faut optimiser l’avertissement public à l’égard des lésions cérébrales. Et adapter le discours à chaque public. »
Son engagement s’adresse particulièrement à celles et ceux qui entament un parcours de rééducation. Sans minimiser les difficultés, il propose un message d’espoir lucide, soutenu par son vécu :
« Même si tu ne progresses peut-être pas comme tu l’espérais, une chose est sûre : ta situation s’améliorera considérablement. »
Une conviction qu’il résume dans une phrase forte et mobilisatrice :
« Il s’agit de renoncer au renoncement, car les solutions existent. »
À travers cette dynamique de partage et d’action, Julien poursuit une mission : faire rayonner les bénéfices de l’activité physique, combattre les idées reçues, et construire des passerelles durables entre les mondes du soin, de la recherche et de la vie quotidienne.
Conclusion
Le parcours de Julien Gloanec incarne bien davantage qu’un récit personnel de résilience. Il illustre, avec une force tranquille, une transformation du regard sur le rôle du corps et de l’activité physique dans le processus de rééducation après une lésion cérébrale. Ce que la science confirme aujourd’hui, son expérience l’a démontré au quotidien : le mouvement devient un levier thérapeutique aux effets mesurables sur la plasticité cérébrale, la cognition et la qualité de vie.
Son chemin interroge aussi nos systèmes de soins : comment intégrer pleinement ces connaissances dans les parcours médicaux classiques ? Comment faire évoluer les représentations autour des lésions cérébrales et des capacités d’adaptation du corps humain ?
En conjuguant rigueur scientifique, vécu intime et engagement de terrain, Julien Gloanec ouvre une réflexion essentielle : celle d’une médecine où le patient devient acteur de sa propre reconstruction.